Streamline, cinétique, illusion : la voiture comme prétexte artistique

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Antoine Dufilho déconstruit l’automobile iconique pour révéler l’essence du mouvement : ses sculptures monumentales transforment Ferrari, Bugatti et Porsche en méditations sur le vide, la lumière et la perception.

Quand la voiture n’est plus qu’un alibi

Antoine Dufilho ne sculpte pas des voitures. Il sculpte le vide, le mouvement, la lumière. Les noms prestigieux (Ferrari 330 P4, Bugatti Type 35, Porsche 911) ne sont que le vocabulaire d’un langage artistique qui transcende l’automobile. Diplômé de l’École d’Architecture et de Paysage de Lille, ancien étudiant en médecine, cet artiste autodidacte a construit dans la campagne lilloise un atelier fait de containers maritimes où il explore depuis 2012 une triple quête artistique : streamline, cinétique, illusion.

L’héritage familial n’est pas anodin. Son grand-oncle Jacques collectionnait les Bugatti et lui a transmis cette passion. Mais là où l’oncle accumulait les cylindres et les chevaux, Antoine déconstruit, évide, révèle. La voiture devient prétexte à une méditation sur l’essence même du mouvement.

Streamline : l’art de la disparition

La technique streamline, baptisée ainsi par Dufilho lui-même, constitue sa signature. Elle consiste en une découpe longitudinale qui fait littéralement disparaître la matière. Prenez Red Stream, inspirée de la Ferrari 250 GTO : vue de face, les lamelles d’aluminium s’évanouissent, ne laissant qu’une ligne. L’artiste explique dans son portfolio que cette représentation « évoque la vitesse et la recherche aérodynamique. »

Cette approche trouve son apogée avec Velocity, hommage à la Bugatti Veyron. La sculpture présente une calandre monobloc en forme de fer à cheval, symbole de la marque, qui traverse l’œuvre de part en part comme un tunnel. Les plaques suivent les courbes de la carrosserie originale, chacune selon un angle différent, créant ce que l’artiste décrit comme une sculpture « placée sur un socle orienté à la manière d’un tremplin. »

L’influence de sa formation médicale transparaît dans cette obsession de l’ossature. Après trois années d’études de médecine, Dufilho a découvert « la mécanique humaine » avant de se tourner vers l’architecture. Cette double formation nourrit son travail : il cherche à révéler la structure, à mettre à nu l’essence. « Il se passionne notamment pour le travail de l’ossature, qui une fois mise à nu, dévoile une succession de plein et de vide, apportant légèreté et dynamisme à la forme générale », précise son portfolio.

La série Streamline ne cherche pas à reproduire mais à évoquer. Chamelon, inspirée de la Porsche 910, pousse le concept plus loin : « L’idée derrière ma série streamline, outre d’évoquer le travail de soufflerie, est de faire disparaître la matière. »

Cinétique : le mouvement sans moteur

Les sculptures de Dufilho bougent sans bouger. C’est le spectateur qui, en se déplaçant, anime l’œuvre. Cette approche cinétique transforme chaque sculpture en expérience à 360 degrés. Red Racing Flower, monumentale avec ses 4,60 m de long et 1,7 tonne, illustre parfaitement ce principe. Les 100 lamelles d’aluminium laquées rouge « s’ouvrent à la manière d’une fleur qui commence à éclore. »

« L’objet statique s’anime en raison de la vision cinétique du spectateur qui déambule autour », explique l’artiste. « Il obtient une interprétation différente en fonction de son point d’observation. » Cette œuvre, exposée à La Baule puis installée de manière pérenne au Touquet devant l’hôtel Westminster, transforme le « regardeur » en acteur.

Gunmetal Symphony, une Porsche 911 constituée de tubes d’inox, pousse encore plus loin cette logique. Vue de face ou de l’arrière, ce n’est plus une voiture mais « un nid d’abeilles artistiquement élaboré. » Les proportions impressionnantes (4 m 30 de long, 1 m 80 de large) renforcent cette sensation d’œuvre vivante.

Formula One, hommage aux monoplaces des années 90, joue sur la dynamique des plaques. L’artiste précise : « Immobile, elle semble en mouvement et donne au spectateur une vue inédite dépendante de son point d’observation. » La sculpture a été présentée dans l’enceinte même du Grand Prix de France 2022, consécration pour une œuvre qui capture l’esprit de la course sans jamais rouler.

Illusion : voir ce qui n’existe pas

L’illusion optique constitue le troisième pilier de l’art de Dufilho. Caméléon représente l’aboutissement de cette recherche. Première sculpture bicolore, elle présente « un côté bleu et un côté jaune pour que la réverbération de la lumière provoque un effet optique et crée une couleur supplémentaire : le vert. »

« Lorsqu’on la regarde de 3/4 avant à gauche, elle semble complètement jaune, alors qu’en se plaçant à droite elle semble entièrement bleue, » détaille l’artiste. Cette œuvre présentée au salon Rétromobile 2023 matérialise l’idée d’une sculpture qui se transforme complètement selon le point de vue.

Le jeu des vides et des pleins crée une transparence paradoxale. Dans Agility, sculpture en acier inoxydable microbillé célébrant le centenaire de la Bugatti Type 35, les plaques sont « disposées de manière organique, créant des lignes naturelles et harmonieuses. » L’acier reflète la lumière différemment selon l’heure et l’angle, rendant l’œuvre perpétuellement changeante.

L’automobile transcendée

Antoine Dufilho ne célèbre pas la voiture ; il l’utilise comme alphabet pour écrire une poésie du mouvement et de la lumière. Ses œuvres monumentales, de Sainte-Maxime à Los Angeles où sa Bugatti Atlantic a trouvé place au Petersen Automotive Museum, transforment l’espace public en galerie à ciel ouvert.

La reconnaissance est venue : Jean Todt possède trois de ses œuvres et lui a commandé deux sculptures monumentales. Les installations permanentes se multiplient dans les villes françaises. Mais au-delà du succès, c’est la démarche qui fascine : faire de l’automobile non pas un objet de culte mais un prétexte à explorer les limites de la perception.